Carnet de bord – Avril 2024

29 avril 2024

Des milliards de fleurs

Chaque année, je suis subjugué par les floraisons des fruitiers. Nous en avons planté des milliers, et si ces arbres ne nous offraient que leurs fleurs, ce serait déjà un cadeau inestimable. Chaque espèce s’épanouit à son rythme : en février les pruniers ouvrent le bal, suivis des abricotiers et les roses pêchers, puis des cerisiers, des pommiers et des poiriers… Les fleurs des cognassiers sont particulièrement délicates. Lorsque le vent souffle, il neige des pétales par millions !

C’est féérique, mais aussi tellement éphémère et vulnérable ! Cette semaine il fait vraiment froid, en fin de nuit le sol était gelé. Si le thermomètre descend franchement en dessous de zéro, une nuit de gel suffit à ruiner une année de production fruitière…

Je suis profondément émerveillé, ému, sans voix. Je regarde le spectacle des fruitiers comme si c’était la dernière fois. Qui dit que ce n’est pas mon dernier printemps ? Rien n’assure que je serai encore là l’an prochain ! Une vie humaine ne dure que quelques poignées de floraisons du printemps. Alors, autant s’émerveiller !

C’est cela qui est beau dans les années qui passent. On se déshabitue des choses, on les redécouvre, on les savoure.

Cette année pour la première fois je suis seul pour gérer la ferme. Heureusement, ce n’est qu’à moitié vrai ! Plein de coups de main me permettent de tenir : mes enfants, des ami.es, d’ancien.nes stagiaires… Il y a peu, un chantier collectif a permis d’abattre un travail incroyable, dans la joie.

Parce qu’il faut bien le dire, le printemps est aussi, pour les jardiniers-maraîchers, un vertige : il y a tant à faire ! La croissance des végétaux est phénoménale et il faut être sur tous les fronts. Alors oui, l’épuisement et le stress sont aussi au rendez-vous… Ma gratitude pour tous ces coups de mains n’en est que plus grande !

Dans la mini forêt-jardin

Après le gros chantier de taille et de désherbage de mars, rien à faire dans la mini forêt-jardin, si ce n’est l’admirer et cueillir l’ail des ours qui se répand spontanément jusqu’à tapisser des dizaines de mètres carrés. Lila en fait de délicieux pestos !

Les cultures de champignons mises en place l’an passé commencent à donner. Hummm, l’omelette des œufs tous frais aux shiitakés ! C’est ça aussi, la vie dans une ferme ! On travaille comme des forçats, mais on mange comme des rois !

Dans la serre

Peut être qu’avec les années je me mets à radoter… Mais j’aime répéter que la nature va toujours vers davantage de complexité ! Dans la serre, ce milieu en soi très artificialisé, nous avons introduit plein d’éléments qui interagissent : légumes, arbres, vignes, fleurs, poules, mares… On renonce à tout contrôler et il se passe plein de choses ! La vie danse !

Les cultures, souvent associés, prospèrent, à l’abri de la météo froide et venteuse qui prévaut dehors en cet hiver/printemps particulièrement arrosé. Voici par exemple des associations pois à rame et salades ou aillets. Vous remarquerez sûrement le jeune bananier qui s’élance fièrement au milieu d’une planche de culture… Laissant son papa et sa maman bananiers dans le bac où ils poussent sagement, à quelques mètres de là, il part tout seul à la conquête du monde !

Mésaventures des jeunes tomates

Il fait tellement humide cette année que je me suis fait avoir comme un bleu… En mars, quelques feuilles des jeunes plants de tomates qui poussaient sur une couche chaude, ainsi que quelques feuilles de pommes de terre sous serre, ont flétri. J’ai attribué cela à un coup de gel. Puis j’ai été fort accaparé au bureau et j’ai parfois négligé d’aérer la serre. Quelques jours plus tard, catastrophe : presque tous les plants de tomates et de pommes de terre (qui sont de la même famille botanique) étaient comme grillés : une virulente attaque de mildiou ! Si tôt en saison, je n’avais jamais vu cela. Un traitement à la bouillie bordelaise (un produit à base de cuivre autorisé en agriculture biologique, auquel je n’avais pas eu recours depuis des années), n’a pas stoppé cette attaque : il était trop tard. J’ai perdu quasiment tous mes plants.

Mais il est si vrai que l’on apprend davantage de ses erreurs que de ses succès ! Un peu partout dans la serre poussent spontanément des jeunes pieds de tomates, par centaines, fruits des semences libérées par les tomates mûres tombées au sol l’an passé. Ces tomates « spontanées » n’étaient globalement pas attaquées ! Nous les avons prélevées pour les repiquer, à la place des nôtres.

En fin d’été, je vais faire l’essai de déposer des tomates, bien identifiées, dans une pépinière, et verrai ce qu’il en sort l’an prochain. Des tomates « du Bec Hellouin », bien acclimatées au contexte de notre serre ?

Il y a un paradoxe parce que notre ferme est souvent citée en exemple, alors que je me sens encore tellement débutant dans tant de domaines ! Je dois vous avouer que… allez j’ose… j’ai acheté en jardinerie une belle plante à l’automne, avec une magnifique fleur de strelizia qui me rappelait les Tropiques. Je l’ai amoureusement arrosée et admirée tout l’hiver. Mais sa longévité a fini par m’étonner. La semaine passée, Rose a tiré sur la fleur… en pur plastique, au bout d’une tige rigide, plantée (à ma décharge) au milieu d’une vraie plante verte ! Si on m’avait dit que j’admirerais des mois durant une fleur en plastique !

Heureusement que la nature en offre à profusion, des fleurs pas trafiquées !

Visite d’un climatologue

Il y a deux ans, j’avais été marqué par la rencontre avec Jean Jouzel, éminent climatologue. Il y a quelques jours, j’ai eu le bonheur d’accueillir à la ferme l’un de ses confrères, ancien vice-président du GIEC comme lui, le Belge Jean-Pascal Van Ypersele. Il est venu en compagnie de sa compagne Martine Capron, pionnière en matière d’écopsychologie et d’éco-anxiété, avec qui nous dialoguons. Des heures de passionnants échanges m’ont permis de lui poser plein de questions au sujet des liens entre agriculture et réchauffement climatique ! Jean-Pascal a été intéressé lorsque je lui ai parlé des recherches de l’Université de Gembloux dans nos jardins, qui avaient mis en évidence le fait que la teneur en carbone organique de nos sols cultivés augmente jusqu’à 10 % par an.

L’une des choses qui me surprend toujours dans cette ferme que je ne quitte que rarement, est le nombre de rencontres passionnantes qu’elle engendre. Je pense notamment à la visite de Jean-Marc Jancovici il y a plus de 10 ans, le premier à m’avoir dit « Ta ferme est un puits de carbone ! ». Ces quelques mots ont été l’amorce d’années de recherches et de collaborations, notamment avec son cabinet Carbone 4.

Les céréales jardinées

Hier et avant hier, nos amis de l’INRAE sont venus travailler avec nous sur notre programme de recherches sur les céréales jardinées, conduit depuis 5 ans à la ferme. 4 chercheurs (deux d’entre eux sont en train de quitter leur fonction au sein de l’INRAE, mais restent partie prenante du dispositif), rejoints par Simon Bridonneau de l’association Triticum et l’une de ses collègues. Nous avons travaillé sur un projet de recherche participative autour de cette question si peu explorée des céréales jardinées. Je vous en dirai plus dans quelques mois !

Après les riches échanges dans l’écocentre, nous avons désherbé une parcelle de seigle. C’est vraiment merveilleux, ces dialogues ouverts et chaleureux entre scientifiques, militants associatifs, paysans, où l’on jongle élégamment entre recherches et mains dans la terre, sans oublier quelques bons repas dignement arrosés !

Toilette de printemps

Mes collègues de travail Swan et Alice ont reçu la visite du maréchal ferrant et de son apprentie, les voilà avec de beaux sabots bien parés, prêts pour les travaux des champs en traction animale ! Précisons que, sortant rarement de la ferme, ils ne sont pas ferrés.

En hiver Swan et Alice contribuent à l’entretien du paysage de résilience car je les laisse parfois pâturer librement dans le chemin creux et les espaces sauvages. Mieux vaut faire brouter l’herbe que de la faucher !

Entretien de l’éolienne

En juin dernier, Jay Hudnall, de Ti’eole, a animé une formation « Construction d’une éolienne » à la ferme. Et depuis, une magnifique éolienne Pigott, entièrement construite sur le site, tourne fièrement dans le ciel du Bec Hellouin ! Lila a dessiné un gouvernail en forme d’escargot pour m’inviter à ralentir !

Jay est revenu entretenir l’éolienne et la raccorder au système qui permet, avec des panneaux solaires, d’alimenter la maison. Le système est vraiment bien pensé puisqu’une personne seule peut coucher le mât pour l’entretien et d’éventuelles réparations.

Une nouvelle table

La ferme n’est ouverte aux stagiaires, lors des formations, que quelques semaines par an, mais ces périodes là occupent tout le temps un espace dans ma tête ! Nous avons vraiment à cœur de proposer à nos hôtes une vraie expérience, sensorielle, d’immersion dans la nature, et tout ce qui peut y contribuer est bienvenu. Nous avons donc installé au bord de la rivière du Bec une table extraordinaire : un plateau de chêne de 6 mètres de long ! Nous allons l’inaugurer dimanche prochain, lors du début de notre formation de Thérapeute psychocorporel.

Collaboration avec Rose

La vie est belle : nous avions rêvé de cette ferme avec Lila et Rose lorsqu’elles étaient toutes petites, après un divorce avec leur maman. Comme un lieu de paix et d’harmonie pour se reconstruire ensemble. 20 années et un second divorce plus tard, Lila revient s’installer au Bec Hellouin, et Rose ne propose plus d’élever des éléphants à la ferme : elle termine ses études de paysagiste à Marseille, et collabore avec moi sur plusieurs projets passionnants. L’un d’eux est particulièrement novateur, encore trop secret pour l’annoncer officiellement… Je vous en dirai plus bientôt !

Nos ami.es et anciens stagiaires se demandent peut être ce que deviennent nos dernières filles ? Shanti étudie avec bonheur les relations internationales en Angleterre, et Fénoua prépare son bac avant de partir étudier l’anthropologie aux Pays Bas. Les oisillons quittent le nid !

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